L’APROFES conduit dans la petite ville de Kaolack, en plein cœur du bassin arachidier du Sénégal, l’unique centre de soutien alentour destiné aux victimes de violences domestiques. L’association a constaté que le nombre de victimes ne diminuait pas au fil des années. Nous avons suggéré à l’APROFES de mettre en place un travail d’approche transformative des genres, abordant avec les hommes et les garçons adolescents la perception de leur rôle. Les violences faites aux femmes trouvent entre autres leur origine dans les schémas patriarcaux rigides, dans le cadre desquels les hommes ont tous les droits, mais pratiquement aucune obligation, et où les femmes n’ont pratiquement aucun droit, mais toute une série d'obligations.
L'APROFES a recherché dans un premier temps au sein de la population de cinq villages deux hommes par village, qui faisaient déjà preuve d'une attitude exemplaire et totalement pacifique, et dont les épouses vivaient par conséquent déjà de façon heureuse. À l’époque leur comportement était plutôt cible de moqueries dans les villages. Mais cette situation a petit à petit évolué grâce à cette reconnaissance et à une formation qui leur permet de mettre en valeur leur attitude vis-à-vis de leurs épouses et d’influencer positivement leurs communautés villageoises. Ces hommes champions ont mis sur pied des groupes d'hommes prêts à accepter cette nouvelle approche et à remettre en question et à modifier leur comportement. Maja Hürlimann a rencontré à Kacothie un de ces groupes, composé de près de 30 participants.
Les résultats obtenus avec ce travail auprès des hommes sont surprenants. Au Sénégal, la plupart des travaux liés au ménage sont effectués par les femmes. Les hommes qui exécutent une partie de ces tâches font souvent la risée de leurs pairs, mais les hommes champions ne s’en émeuvent pas. Ils aident leurs femmes à chercher du bois ou de l'eau, les secondent à la cuisine, au jardin potager, avec les enfants et lors de nombreuses autres tâches, et sont fiers de le faire. «Les résultats obtenus sont étonnants», rapporte notre responsable de programme Maja Hürlimann après ses observations effectuées sur place. «Un couple a par exemple décidé d’acheter ensemble une moto, avec laquelle le mari va chercher du bois ou amène les grains au moulin. La femme dispose de cette manière de plus de temps pour s'occuper du potager. Ils se rendent ensuite à moto au marché, où la femme vend les légumes qu'elle a cultivés. Leur condition de vie s’est ainsi améliorée.» Cette collaboration débouche sur un plus grand respect mutuel, sur une relation plus pacifique et harmonieuse au sein du couple et sur une meilleure entente. Elle évite aussi les cas de violence et bénéficie en fin de compte toute la famille, par exemple par l’apport de revenus plus élevés. Et tout cela s’ébruite au sein de la communauté. «Les hommes participant à ses groupes sont convaincus des bienfaits de ces changements et ne souhaitent plus vivre comme avant.» Deux nomades éleveurs de bœufs, issus d’un camp voisin, se sont eux aussi intéressés à ces hommes champions et ont ensuite rejoint un de ces groupes.
Les dix hommes champions formés par l’APROFES organisent des séances d’information et prennent part à des discussions sur les radios populaires locales, ce qui motive d’autres hommes à modifier leur façon de penser. Mettre sa partenaire sur un pied d’égalité mène à plus d’harmonie au sein du couple, ce qui profite évidemment aussi au mari. Une part d'intérêt personnel se cache bien entendu dans ces changements, car les avantages pour ces hommes sont manifestement plus importants que dans les anciens schémas patriarcaux. «Les femmes étaient aussi très critiques au début», témoigne Maja Hürlimann, «car elles ne souhaitaient pas avoir un homme montrant de telles faiblesses, selon leurs dires.» Mais les avis se transforment aussitôt que les hommes champions sont acceptés en tant qu'exemple, «et tout le monde considèrent ensuite ces changements comme positifs.»
Comme chez nous, les médias sociaux sont toujours plus appréciés en Afrique. Mais les hommes discutent encore volontiers autour d'un thé traditionnel et les échanges qui en découlent ont plus d’effet. «Il est très important que les hommes parlent entre eux de leur rôle et des expériences positives qu’ils vivent avec ces changements», explique notre responsable de programme. L’imam de Kacothie soutient également ce mouvement et rappelle que le Coran prêche aussi une attitude respectueuse du mari envers sa femme. La société sénégalaise est patriarcale, mais l’islam dans le pays est par contre ouvert à l’égalité des droits et à une interprétation du Coran allant dans ce sens. «La présence de plus de leaders d’opinion locaux est souhaitée dans cette démarche, ce qui est rendu possible par la poursuite du travail de persuasion», selon Maja Hürlimann.
Avec les enfants de ces hommes champions, une génération interprétant les rôles de manière différente prend forme, prête à mieux respecter l’égalité entre les genres et à lutter contre les violences faites aux femmes.