Emmanuel Dovi Tomety est le directeur de notre organisation partenaire AFAD au Togo. L'entretien a été mené par Beate Kiefer, collaboratrice de IAMANEH, lors de l'assemblée générale du 2 mai à Bâle - la présente publication est une version abrégée.
IAMANEH : Emmanuel, tu travailles dans le domaine de la santé au Togo depuis les années 90. Qu'est-ce qui t'a particulièrement marqué au fil des années ?
Emmanuel : Au début de ma carrière, j'ai travaillé dans la commune de Sodo, au sud du pays. J'y ai vu beaucoup de souffrance, ce qui a marqué mon travail jusqu'à aujourd'hui.
IAMANEH : Quelles ont été les expériences les plus touchantes que vous y avez vécues ?
Emmanuel : J'ai vu des personnes atteintes de maladies graves qui ne venaient pas au centre de santé depuis trop longtemps. On ne peut pas s'imaginer comment les gens peuvent rester si longtemps sans traitement. À Sodo, j'ai compris pourquoi il en était ainsi. De nombreux patients venaient par exemple du village isolé d'Eleme. Une fois par semaine seulement, une voiture faisait l'aller-retour jusqu'à Eleme - le samedi, quand il y avait un marché. Au retour, les malades pouvaient venir à Sodo. Une fois par semaine. C'est à ce moment-là que j'ai su que je devais faire quelque chose pour ce village reculé.
IAMANEH : Tu as ensuite travaillé à Eleme. Quels souvenirs en gardes-tu ?
Emmanuel : J'ai eu les larmes aux yeux quand je suis arrivé là-bas. Les gens travaillaient dur dans l'agriculture, c'était une communauté dynamique. Mais elle était complètement coupée de l'environnement. La population n'avait aucun accès à l'information. J'en ai fait l'expérience dans mon travail de médecin là-bas.
IAMANEH : Y a-t-il un exemple ?
Emmanuel : Un homme a amené son enfant en consultation. Il a décrit le problème en ces termes : « L'enfant n'a pas pissé de sang depuis cinq ans ». J'ai cru que j'avais mal entendu. En posant des questions, il s'est avéré qu'au village, il était normal d'avoir du sang dans l'urine. Celui qui n'en avait pas était considéré comme malade ! J'ai rapidement compris que l'on soupçonnait une maladie infectieuse, la bilharziose, chez le père et non chez l'enfant. L'analyse d'urine l'a confirmé. Le père avait la bilharziose, et avec lui presque tout le monde dans le village. J'ai informé le ministère de la santé et un traitement a été possible.
IAMANEH : Ce sont des moments où tu as pu intervenir positivement. Mais il y a aussi eu de grandes difficultés, peux-tu en parler ?
Emmanuel : Oui, il y a eu des moments où j'étais en danger. Nous n'apportions pas seulement des traitements médicaux aux villages de la région, mais nous aidions aussi à développer les communautés. Les gens s'organisaient et prenaient eux-mêmes des décisions qui faisaient avancer leurs communautés. La dictature militaire de l'époque considérait cela comme une menace. Un jour, l'armée est venue me chercher à Eleme la nuit. Il se trouve que j'étais absent à ce moment-là. Les collaborateurs du poste de santé m'ont appelé et m'ont averti de ne pas revenir. C'était une période très difficile. J'ai dû me cacher, sans savoir pour combien de temps. Je raconte toutes ces expériences plus en détail dans mon livre « Impact », sur lequel je travaille actuellement.
IAMANEH : Aujourd'hui, tu t'engages pour la santé des femmes, en particulier pour un accompagnement à la naissance qui tienne compte de la dignité et des besoins des parturientes. Pourquoi cette priorité ?
Emmanuel : Cet engagement remonte également à mes débuts dans la profession. La première fois que j'ai assisté à un accouchement, la sage-femme criait rudement sur la parturiente pour l'inciter à pousser. J'étais alors stagiaire et je pensais que c'était normal. Mais j'étais choquée et triste. J'ai pensé à ma mère - nous sommes dix enfants, pour chaque naissance elle a subi une telle douleur. J'ai ressenti cette douleur et j'ai voulu agir.
Services obstétriques respectueux
Un accompagnement de l’accouchement centré sur les besoins de la parturiente: telle est la vision de notre organisation partenaire AFAD (Alliance Fraternelle pour le Développement). Son initiative, qui promeut un accouchement empathique et basé sur le droit pour toutes les femmes enceintes du Togo, a pris de l’ampleur en 2023.
Des services obstétriques respectueux impliquent la prise en compte des décisions de la parturiente en fonction de son expérience, c’est-à-dire qu’elle peut choisir elle-même la position de l’accouchement et que différents moyens auxiliaires lui sont mis à disposition. Le personnel enseignant de trois des six écoles de sages-femmes du pays a été formé à l’approche promue par l’AFAD, ce qui constitue l’une des plus grandes réussites de l’année. Le nombre total de professionnel·le·s de la santé formé·e·s depuis le début du projet s’élève ainsi à 112, répartis dans 47 centres de santé au total, la plupart en milieu rural.
L’évaluation e.xterne réalisée au cours de l’exercice montre que la durée des accouchements est significativement plus courte dans les centres équipés de moyens auxiliaires favorisant un service obstétrique respectueux, et que la quantité d’analgésiques utilisée y est nettement moins élevée que dans les régions de contrôle. Outre les avantages médicaux tels que l’accélération du déroulement de l’accouchement, la méthode promeut aussi les relations entre le personnel de santé et la parturiente et réduit les tensions et l’agressivité dans les salles d’accouchement
Comment cela a-t-il continué ?
Le centre de santé Eleme a vu le jour grâce à la participation de l'association « Amis Suisse de l'AFAD ». En 2007, j'ai été invité par la fondatrice Regula Streun Schäfer. À cette occasion, j'ai pu visiter l'hôpital cantonal de Bâle. La sage-femme qui s'y trouvait m'a parlé en détail de son travail et m'a montré le matériel et les outils utilisés pour accompagner l'accouchement. Par exemple, la cordelette à laquelle les femmes peuvent s'accrocher pendant les contractions.
Que s'est-il passé après cette visite ?
J'étais fermement décidée à changer l'aide à l'accouchement au Togo et j'ai élaboré des concepts pour un accompagnement respectueux de la naissance. Certains de ces concepts n'étaient pas nécessairement nouveaux, mais nous ne les appliquions pas dans les structures de santé. Au Togo, par exemple, les femmes s'accrochaient autrefois aux branches des caféiers pendant le travail pour faciliter et accélérer le déroulement de l'accouchement - la plante avait la même fonction que la cordelette dans la salle d'accouchement. Mais on voulait éviter cela, car l'un des objectifs est que les femmes n'accouchent pas n'importe où à l'extérieur ou à la maison, mais qu'elles soient accompagnées dans un centre de santé. Nous y introduisons maintenant le cordon.
Comment les concepts de soins obstétricaux respectueux ont-ils été accueillis ?
Nous avons négocié pendant un an avec le ministère de la Santé, après quoi nous avons eu l'autorisation d'ancrer les nouvelles pratiques dans les institutions. Le ministère nous a donné l'autorisation d'introduire les concepts dans la formation des sages-femmes. Depuis, les enseignants de trois des six écoles de sages-femmes du pays ont été formés à l'approche introduite par l'AFAD. Le nombre total de professionnels de la santé formés depuis le début du projet s'élève donc à 112 dans 47 centres de santé au total, la plupart en milieu rural.
Qu'aimerais-tu réaliser dans les années à venir ?
Nous souhaitons continuer à apporter notre expertise en matière de santé sexuelle et reproductive et de droits connexes. Le défi est maintenant d'ancrer l'approche de soins obstétricaux respectueux dans tout le Togo. Je remercie IAMANEH Suisse pour son accompagnement dans ce processus.